Les comportements de nos enfants dépassaient largement notre expérience

Par Adrian Marchuk

« Si vous voulez que vos enfants s’en sortent bien, investissez deux fois plus de temps et moitié moins d’argent pour eux. »
—Abigail Van Buren

Ma femme et moi avons eu le bonheur de devenir parents adoptifs d’une fratrie de trois. Ils ont quitté leur foyer d’accueil pour venir s’installer chez nous à l’âge de onze, sept et trois ans respectivement; et nos vies n’ont plus jamais été les mêmes.

Nous avions déjà décidé que je resterais à la maison pour devenir le dispensateur de soins principal pour nos trois nouveaux enfants. À l’arrivée de nos enfants, ma femme a pris trois mois de congé parental. En les combinant avec son mois annuel de vacances, nous étions donc deux parents à la maison à temps plein pendant quatre mois, le temps que tous s’acclimatent à leur nouvelle réalité. Ce serait tout un euphémisme que de dire que ce n’était pas suffisamment de temps.

Nos enfants manifestaient des comportements qui, bien que parfaitement normaux pour des enfants avec un vécu de traumatismes, de négligences et de maltraitances, dépassaient largement notre expérience — et celle de la plupart des familles. Notre fils se frappait la tête sur le plancher. Notre cadette de huit ans se souillait quotidiennement, s’arrachait régulièrement des poignées de cheveux et se frottait la peau au sang. Notre fille aînée s’est frappé la tête avec ses genoux au point d’avoir une sévère commotion cérébrale. Il est important de préciser que les comportements de nos enfants sont considérés comme étant du côté modéré du spectre pour les enfants traumatisés.

Gérer tous ces nouveaux comportements s’est fait en plus de la gestion de défis plus prosaïques tels que l’insomnie, le stress et la logistique de garder trois enfants en santé et rassasiés, le tout en naviguant les demandes bureaucratiques de deux sociétés d’aide à l’enfance, deux nouvelles écoles et une garderie.

Et il y a eu les difficultés totalement inattendues aussi : des erreurs sur les nouvelles cartes santé des enfants nous empêchant de recevoir les ordonnances de médicaments. Un camion de déménagement arrivant à l’improviste, ce qui signifie une maison pas prête à recevoir un nouveau lot de meubles. Un administrateur scolaire qui conteste notre statut de parents pour les enfants nous a semblé être la goutte qui fait déborder le vase.

Le congé parental est conçu pour atténuer le fardeau financier que les parents doivent assumer lorsque l’un deux doit arrêter de travailler afin de gérer les besoins particuliers d’un nouveau-né. C’est également une volonté sociétale de reconnaître la valeur du travail effectué par les parents à la maison, de la même façon que nous valorisons le travail effectué en entreprise, dans un bureau, au poste de police ou à l’hôpital.

Et si tel est le cas, alors il est vraiment étrange que les parents adoptifs reçoivent moins de congés parentaux. Bien que leurs enfants soient souvent plus âgés qu’un nouveau-né, ils manifestent des comportements et affrontent des défis et des bouleversements qui dépassent l’expérience de la plupart des adultes. Les enfants traumatisés ont besoin de plus de temps de qualité avec leurs parents; ils ont davantage de besoins tant au niveau physique que psychologique et émotionnel, et pourtant, ils ont moins de temps à passer avec leurs familles en tant qu’enfants, que les enfants qui grandissent avec leur famille biologique.

Un nouveau-né passe 24 heures par jour à la maison avec ses parents, mais les enfants adoptifs d’âge scolaire sont à l’extérieur de la maison un minimum de six heures par jour, ce qui leur donne moins d’heures par jour pour créer des liens d’attachement. Notre aînée se plaignait à nous qu’elle allait « manquer de temps » parce qu’elle avait été trimballée de foyer d’accueil en foyer d’accueil pendant sept ans et qu’elle avait déjà onze ans en arrivant chez nous. Sa sœur cadette avait peur qu’en étant une demi-sœur elle ne pourrait jamais complètement faire partie de notre famille. Et notre plus jeune fils, même après deux ans avec nous, est encore confus à savoir qui sont ses « vrais parents ».

Le temps que nous pouvons passer avec nos enfants qui souffrent est d’autant plus précieux puisqu’il est plus limité. Rien ne saurait remplacer l’impact d’un temps de qualité consacré à la relation parent/enfant, c’est dans ces moments que les liens d’attachements sont nourris, que l’estime de soi grandit et qu’un réel sentiment d’appartenance s’affirme.

L’investissement requis au niveau fédéral pour accorder un congé parental équitable aux parents adoptifs représente une goutte d’eau dans l’océan. Et pourtant, pour ces enfants qui ont soif d’amour parental, tout en ayant peur de faire de nouveau confiance, ces quelques gouttes supplémentaires—quelques mois de plus à la maison avec maman ou papa—peuvent faire la différence entre attachement et rejet. Les enfants qui se joignent à des familles d’adoption ont désespérément besoin de sentir qu’ils appartiennent à cette famille pour toute la vie. Tous les enfants ne méritent-ils pas cela?


Les opinions exprimées dans les articles publiés sur ce blogue sont celles de leurs auteurs et ne reflètent pas la position officielle d’Adopt4Life. Nous respectons la diversité d’opinion au sein du milieu de l’adoption et espérons que ces articles susciteront des échanges constructifs. Notre campagne #DuTempsPourSAttacher sepoursuit avec comme objectif d’adapter la politique gouvernementale afin d’introduire un congé parental de 15 semaines (un congé d’attachement) pour les parents adoptifs, les parents proches qui ont obtenu la garde d’un enfant et les dispensateurs de soins traditionnels. En collaboration avec l’Université Western et leConseil d’adoption du Canada, nous avons œuvré afin de susciter une prise de conscience vis-à-vis de cette mesure de soutien majeure requise pour les familles etles enfants. En ce sens, il est primordial de continuer le partage de témoignages de parents et enfants relatifs à cette période cruciale pendant laquelle ils cherchent à former des liens sains et durables. Découvrez comment partager votre histoire.

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